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L'enfant qui volait avec ses bras ...
Gilbert, l'enfant qui volait avec ses bras a enfin repris son envol pour d'autres cieux.
Oui, enfin, car même si sa maladie l'a emporté relativement rapidement cela a été très pénible pour lui même de voir ses souvenirs le quitter et ses liens avec sa famille et ses proches s'étioler pour disparaître complètement...
J'ai fait la connaissance de Gilbert il y a plus de 20 ans, je venais de commencer mon activité professionnelle et Gilbert, à la retraite depuis peu, aimait venir s'offrir régulièrement un vol d'initiation ; il ne voulait pas apprendre, juste se balader en tripatouillant le manche, que je reprenais quand cela devenait trop scabreux, lorsque Gilbert s'occupait plus du paysage survolé que du contrôle de l'appareil.
Souvent j'essayais de le motiver pour qu'il apprenne sérieusement à piloter mais il me rétorquait qu'il n'avait aucun bagage scolaire et qu'il n'était pas assez intelligent pour y arriver...tout petit il rêvait qu'il volait avec ses bras et puis lorsque vers 6 ou 7 ans il aidait au travail dans les champs et levait la tête , émerveillé de voir passer les premiers aéronefs, sa mère lui répétait que cela ne serait jamais pour lui !
Une fois, lors d'un repas au club avec, entre autres, un ami commandant d'un terrain contrôlé voisin, une discussion commence et l'ami en question, propose à Gilbert de l'aider pour préparer l'examen théorique car il pense qu'il n'y a pas de raison qu'il n'y arrive pas...refus poli et agacé de Gilbert ; ça m'aurait bien étonné qu'il accepte car cela faisait 1 an que j’essayais de mon côté de le convaincre...et puis le lendemain mon Gilbert vient me voir et me dit son intention de vouloir passer le théorique , sa motivation étant qu'un quasi inconnu de la veille l’aurait peut être pris pour un imbécile et incapable de s'y mettre tout seul ...allez comprendre... et ce qui fut dit fut fait.
Gilbert s’entraîna tant et si bien, un peu aidé par moi il faut bien l'avouer, qu'à la fin il fut prêt. Mais comment s'y prendre... Gilbert était quelqu'un de très émotif et à la simple idée d'aller passer l'examen c'était panique à bord.
L'ami commandant me suggéra de venir avec Gilbert, quand la météo s'y prêterai et de lui faire passer l'examen en solo...sans prévenir Gilbert bien sûr.
Ce que j'organisais donc un jour, invitant Gilbert à venir avec moi en vol rendre visite à notre ami commandant du terrain :
« Alors Gilbert, ça va ? »
« Ben oui ça va «
« et ce théorique ça se prépare ? »
« oui, oui, ça commence à aller »
« Bon alors c'est le grand jour, Guy ne t'as pas dit ? Tu le passes aujourd'hui ! »
Grand moment de panique et de solitude de Gilbert qui me regarde mi hébété, mi incrédule !
Moi : « ha oui Gilbert ne m'en veux pas, j'ai préféré te faire la surprise et puis j'ai pensé que cela t'empêcherait de dormir... »
Une heure plus tard et après avoir maitrisé les tremblements l'empêchant de remplir les cases, Gilbert réussissait brillamment son théorique avec 0 faute !
La pratique fut un parcours difficile pour Gilbert et moi même mais à force de répétitions et d'astuces pour que Gilbert trouve des automatismes mais ne s'enferme pas dedans vient le jour tant attendu du lâcher, journée exceptionnelle dans sa vie et la mienne tant son bonheur faisait plaisir à voir ; Gilbert endossa ce jour la combinaison de vol de « Gilbert l'aviateur », nom affectueux et plein de respect de ses voisins de village.
Gilbert fit une place dans le garage pour y ranger son Albatros rutilant et puis prépara la piste devant la maison. Des que les conditions étaient bonnes, il volait et aller saluer ses enfants ou ses amis dans un rayon de 30 km autour de chez lui...il resplendissait de bonheur à voler pour de bon.
L'âge venant, Gilbert décida , raisonnablement, de se séparer de son cher Albatros, la mort dans l'âme et les larmes aux yeux...je me chargeais de la triste besogne...
Gilbert était quelqu'un de très attachant avec une grande sincérité, une grande intelligence du cœur, ayant beaucoup de bon sens et répondant tout de suite et généreusement à toute demande d'aide...cela ne court plus les rues aujourd'hui !
J'associe bien évidemment Gilbert à Denise sans laquelle il n'aurait peut être pas vécu tout cela ni été comme il était...Elle l'a soutenu, motivé, poussé à réaliser ses rêves d'enfant.
Il était perdu sans elle et ne savait même pas où était le café, c'est dire !
La non sophistication de nos ulms de l'époque, Gilbert a commencé sur un Quicksilver, a permis à Gilbert de penser que cela était réalisable...il n'aurait jamais envisagé une seconde d'apprendre sur un avion ou un ULM moderne !
Gilbert, tu nous manques, mais le souvenir de l'enfant qui volait avec ses bras nous accompagnera toujours, bons vols et sois prudent !